Philippe Chevrier (Chateauvieux) : Entrepreneur du goût
Cuisinier doublement étoilé et propriétaire de plusieurs restaurants à Genève et ses environs, Philippe Chevrier court toute la journée. Il sait toutefois se rendre disponible pour parler de son parcours, de ses passions, et échanger avec ses clients en cuisine. Rencontre.
Pouvez-vous présenter votre parcours en quelques mots.
Après ma formation de cuisinier, j’ai suivi une formation de pâtissier-chocolatier, mais aussi de boulanger, car je voulais une formation complète. Avant d’aller dans des grandes maisons, j’ai travaillé dans des restaurants simples, comme le Patio que j’ai racheté depuis. J’y officiais comme second d’une petite brigade. Puis je suis arrivé ici à 26 ans, plein l’audace. J’ai toujours aimé ce lieu, son potentiel et la vue imprenable. J’ai beaucoup appris à chacune de mes expériences, et les chefs côtoyés ont toujours été d’excellents formateurs, comme j’essaie de l’être maintenant avec mes brigades. La notion de transmission me semble essentielle. Savoir fidéliser ses collaborateurs permet de créer une énergie qui bénéficie à tout le monde. La magie de ce métier réside dans la possibilité d’apprendre d’un jeune cuisinier de 20 ans.
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" Le meilleur plat au monde avec un mauvais service n’aura pas le même goût”
Vous êtes très inspiré par Louis Outhier, chef triplement étoilé surnommé le ‘somptueux oublié’.
Il représentera toujours la magie du premier restaurant 3 étoiles dans lequel j’ai exercé à vingt ans. Certes, il évoluait dans l’ombre de Michel Guérin, Paul Bocuse ou Troisgros, mais il incarne le niveau que je recherche : des produits d’exception, de la rigueur et le souci du détail. À partir de cette époque les chefs ont commencé à prendre davantage la lumière que les établissements. De plus, la clientèle qui fréquentait la table de Louis située sur la Côte d’Azur comprenait beaucoup de personnalités. J’en garde le sentiment d’une grande responsabilité et d’excellents souvenirs. J’y ai également découvert une cuisine méditerranéenne et chaleureuse, qui a du goût. Une cuisine agrémentée d’herbes, mais aussi d’épices venus de Thaïlande. Une cuisine savoureuse et parfumée.
Un mot sur Freddy Girardet, une autre de vos influence.
C’est l’inventeur de la cuisine spontanée : avec trois produits il inventait des recettes extraordinaires. Une véritable machine à créer. Une cuisine qui bouge tout le temps. Il m’a appris la remise en question permanente, et l’importance de valoriser chaque produit pour faire de chaque plat une expérience.
Comment définiriez-vous votre cuisine ?
Nous valorisons des produits d’exception. Cependant, les émotions ressenties par les clients passent avant tout : l’accueil et le service peuvent être plus importants que la cuisine dans ce contexte. Chaque détail compte. Le meilleur plat au monde avec un mauvais service n’aura pas le même goût.
Vous n’êtes pas seulement cuisinier, vous êtes également un véritable businessman.
Je préfère le terme d’entrepreneur, car je ne pense pas forcément au retour sur investissement. Je dois oser en calculant le risque. Mon plaisir se situe dans la création d’un concept, d’une équipe, de rassembler autour d’une envie commune. Certes il faut savoir cuisiner, mais pour réussir, il apparait nécessaire de s’entourer de gens forts, de les motiver et de déléguer. Dans une équipe de foot un bon gardien ne possède pas les mêmes qualités qu’un avant-centre, mais les deux apparaissent indispensables à l’équipe. Le chef ne doit jamais se positionner au-dessus de ses employés : sa place se situe au cœur de la dynamique pour fédérer. En 2016 j’ai créé Chez Philippe à Genève : un restaurant de 1000 m2, qui fait entre 450 et 600 couverts par jour. La particularité réside dans le fait que le financement reposait sur le crowfunding, uniquement avec mes amis et des fournisseurs obligés de suivre pour accéder aux contrats. Ainsi tout le monde a des privilèges, mais aussi des devoirs. Voilà ce qui me plaît : inventer en cuisine et en affaires.
Vous fêterez vos 60 ans en 2020. Quels sont vos objectifs ?
Je vais ouvrir un nouveau restaurant en juin, à Genève, avec un concept original : toute la carte sera basée uniquement sur 2 produits.
Vous êtes marathonien. Cela vous aide dans votre quotidien ?
J’ai couru 5 fois à New York depuis 1983. Le marathon apporte de la discipline, car il faut être constant pendant l’entrainement pour y arriver. Par ailleurs, j’adore cette ville. Je reviens avec toujours avec beaucoup d’énergie, et aussi un peu de tristesse, car je voudrais tout ramener de là-bas.