Laurent Petit (Le Clos des Sens) : éloge du bon sens
Laurent Petit ouvre, en 1992, le Clos des Sens au cœur d’Annecy-le-vieux. Depuis son « Cooking out », sa cuisine lacustre et végétale sublime des produits strictement locaux, symbole d’un échange humain entre producteurs et cuisinier. Mise à l’honneur de ce renouveau, le Chef Petit reçoit sa troisième étoile Michelin en 2019.
Quelles péripéties vous ont amené à votre Cooking out ?
La crise de la cinquantaine. La prise de conscience d’atteindre la dernière décade professionnelle pour m’exprimer. Une envie d’être un homme au-delà d’un cuisinier et de pousser mon message, à travers le prisme de la gastronomie, en toute transparence. Une mise à nue en quelque sorte. Il s’agit d’un combat intérieur qui devient extérieur et exprimé. L’envie de m’affranchir de toute comparaison et des sentiers battus, insoutenables, de la gastronomie m’ont porté vers mon cooking out. Depuis, je cuisine de manière strictement locale et j’ai réduit l’usage des protéines animales à un strict minimum. Je souhaite utiliser ma troisième étoile pour influencer les jeunes restaurateurs à appliquer les règles du bon sens paysan, loin d’une consommation globalisée.
« Je ne veux pas passer à côté de la richesse humaine qui habite mes collaborateurs et mes producteurs. »
Comment voyez-vous votre relation avec vos collaborateurs et producteurs ?
Je ne veux pas passer à côté de la richesse humaine qui les habite. Il est maintenant très facile de se côtoyer sans pour autant interagir intellectuellement et émotionnellement. Je veux comprendre qui ils sont humainement et amener une profondeur à notre relation. Ce contact paraît évident, mais ne l’est pas du tout. Mes producteurs font de leur profession un mode de vie. Il faut souligner la « simplexité » de leur travail, la richesse de leur activité dans une société définie par la surconsommation. Par la suite je prends plaisir à leur montrer comment je peux exprimer la quintessence de leur produit en cuisine. J’ai grandi dans la région de Langres et, dans ma vingtaine, j’ai dégusté notre fromage local dans un restaurant gastronomique à Paris. L’affinage avait complètement élevé ce produit. A mon retour j’ai transmis au producteur mon expérience afin de lui faire comprendre le potentiel de son fromage grâce à l’affinage.
Comment décririez-vous les piliers qui soutiennent votre restaurant ?
Le Clos des Sens reste une histoire de couple. Martine et moi avons ouvert en 1992 et travaillons en tandem à la vie du restaurant et de l’hôtel. Il faut également trouver son alter ego professionnel et j’ai eu la chance de rencontrer Franck Derouet, mon chef exécutif, il y a huit ans. Ensuite facteur crucial, la salle incarne le cœur du restaurant : afin d’établir une cohésion entre tous les services, les nouveaux employés débutent toujours en cuisine. C’est en découvrant l’essence du plat qu’ils développent l’envie de transmettre cette passion culinaire aux convives. Par la suite, ils doivent faire preuve d’intelligence pour exprimer la subtilité de tous les plats avec leurs propres mots, en toute honnêteté.