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Rikard Lundgren (Steendier) : Les systèmes complexes et la fin de la croissance ?

Selon le professeur Geoffrey West « Les systèmes complexes tels un organisme ou une ville ne pourraient pas évoluer sans l’apparition de lois qui limitent leur comportement. » La nouvelle science des systèmes complexes nous offre les outils nécessaires pour mieux comprendre l’évolution globale de nos économies.

 

Ce que nous voulons

La croissance économique infinie reste une idée acceptée de tous, un objectif commun à toute l’humanité. Elle réglera tous les problèmes et transformera nos rêves en réalité à travers des améliorations continues. La croissance transformera les conflits politiques, religieux et ethniques en coopération. Elle évitera les guerres en créant des liens et en nous intégrant économiquement au-delà des intérêts nationaux, pour le bien de tous. Nous ne voulons pas voir la croissance s’arrêter. Par définition : la croissance économique représente l’augmentation de la valeur sur le marché, après correction en fonction de l’inflation, des marchandises et des services produits par une économie au fil du temps. Elle se mesure par le taux d’augmentation du PIB réel.  Et si la croissance s’arrêtait ? Et si les systèmes économiques complexes ayant considérablement amélioré notre niveau de vie ne parvenaient plus à générer de croissance ? La nouvelle science des systèmes complexes nous aide à comprendre comment ils évoluent, comment ils déclinent et comment ils finissent par s’effondrer.

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« La nouvelle science des systèmes complexes nous aide à comprendre comment les systèmes économiques complexes évoluent. »

Pourquoi et comment les systèmes se développent...

Le professeur britannique Geoffrey West - physicien, biologiste, dirigeant de l’Institut de Santa Fe et auteur de Scale : The Universal Laws of Growth, Innovation, Sustainability, and the Pace of Life in Organisms, Cities, Economies, and Companies – a découvert que des lois universelles régissent tous les systèmes en croissance, qu’il s’agisse de bactéries, de villes, d’entreprises ou d’économies. Les économies d’échelle constituent leur facteur de croissance commun. Lorsqu’elles sont mises à nouveau en application, les ressources entraînent une croissance absolue plus importante et ainsi de suite. Cette loi de la mise en échelle reste la même pour tous les systèmes, notamment pour les systèmes socio-économiques évolutifs. La croissance suit des lois universelles similaires.

 

... et pourquoi ils s’effondrent et meurent

Cependant, aucun système ne croît indéfiniment. Selon les scientifiques, les économies d’échelle s’estompent et demeurent des « singularités limitées dans le temps ». Il reste donc également possible de calculer l’espérance de vie de n’importe quel système complexe. Au fil du temps, de plus amples ressources restent nécessaires pour maintenir et protéger le système. Cela laisse moins de possibilités pour une nouvelle croissance. Elle ralentit et le système « arrive à maturité », se fige puis finit par s’effondrer. Un concept facile à comprendre pour les systèmes biologiques comme les mammifères - de la petite souris aux humains, en passant par les grosses baleines - pour lesquels le taux métabolique limite leur capacité à répondre aux besoins de leurs cellules. L’espérance de vie des souris ne dépasse pas quelques années. Pour l’homme, elle reste d’environ 125 ans. Les baleines boréales, elles, peuvent vivre plus de 200 ans. Les systèmes socio-économiques complexes disposent également d’une certaine espérance de vie. Les entreprises américaines cotées en bourse vivent à peine plus de 10 ans. Les villes, autre système complexe, n’ont pas encore arrêté de croître et ne se sont pas encore effondrées. Pourquoi, alors, certains systèmes complexes continuent-ils de grandir mais d’autres suivent le même chemin prédéterminé vers la mortalité telles une souris ou une baleine ?

 

Sauf s’ils se réinventent

Les systèmes complexes en cours de maturation peuvent reprogrammer leur horloge biologique et allonger leur durée de vie, voire générer une nouvelle période de croissance. La clé ? L’innovation. Une nouvelle période de croissance peut voir le jour si le système reste capable de changer fondamentalement la façon dont il organise l’utilisation de ses ressources. Depuis la révolution industrielle, de nombreuses innovations technologiques ont altéré la façon dont nous les exploitons et ont engendré de nouvelles périodes de croissance. L’urbanisation - l’accélération de la croissance des villes ayant eu lieu sur 200 ans - constitue un changement de nature non technologique représentant pourtant le plus grand facteur de croissance économique. Aux quatre coins du globe, un million de personnes déménagent dans des villes chaque semaine. À ce rythme, près de 80 % de la population mondiale vivra dans des villes d’ici 2050.

 

Le cas spécifique des villes

Comparé à la plupart des systèmes complexes, les villes sont davantage parvenues à tirer leur épingle du jeu de la réinvention. Certaines ont connu des périodes de déclin pour trouver de nouveaux moyens de se développer. Selon les scientifiques, ce dynamisme reste lié à un manque de planification centralisée. Les gens affluent vers les villes pour échanger leurs idées, commercer et identifier de nouvelles façons d’évoluer. Et cela spontanément et rapidement ! Mais l’urbanisation se caractérise également par une singularité limitée dans le temps et susceptible d’avoir une fin. À quoi celle-ci ressemblera-t-elle ? Les villes vont-elles commencer à s’« entremanger » ? À quoi la fin de l’urbanisation ressemblera-t-elle ? Une fois l’urbanisation arrivée à terme, parviendrons-nous à trouver une autre singularité pour reprogrammer notre horloge biologique et engendrer un nouveau pic de croissance ? Ou échouerons-nous ?

 

... qui peuvent également s’effondrer et disparaître

Les villes font également l’objet de singularités négatives se développant au même rythme qu’elles. Celles-ci doivent être maîtrisées avant de devenir toxiques et risquent de tuer le système. Ces singularités néfastes demeurent connues : congestion, pollution, maladie, déchets, ségrégation sociale, criminalité. Il faut des ressources pour s’assurer qu’elles ne deviennent toxiques : police, systèmes de trafic, gestion des déchets, sécurité, soins de santé, etc.

 

 

Cependant un piège persiste

Malheureusement, même les systèmes se réinventant ne peuvent éviter un problème spécifique. L’espérance de vie des pics de croissance engendrés par chaque nouvelle innovation se raccourcit toujours plus. Nos systèmes complexes doivent se réinventer de plus en plus souvent. Cette évolution implique bien sûr une limite. Nous ne pouvons revoir entièrement notre société d’un jour à l’autre, pas même d’une année à l’autre. Notre cadence reste telle que plusieurs nouvelles innovations doivent avoir lieu au cours de la vie d’un individu. Peut-elle s’accélérer ? Nous le découvrirons bientôt. N’oubliez pas que seuls les changements fondamentaux fonctionnent. Nous ne parlons pas ici du nouvel iPhone ou des voitures autonomes. De nombreux jeunes travailleurs devront vraisemblablement se réinventer plusieurs fois au cours de leur carrière, car leurs compétences deviendront obsolètes ou seront remplacées par une nouvelle technologie. Les individus jouent le rôle de penseurs de systèmes évolutifs assimilant, changeant et s’adaptant en permanence. Les systèmes complexes disposent d’un cycle de feedback et « apprennent », à travers l’interaction sociale, à se réordonner. Il reste même possible que la prochaine vague d’innovation nécessaire ne soit pas catalysée par la technologie. Elle pourrait prendre la forme d’un changement fondamental dans la société. La prochaine grande innovation aura peut-être pour enjeu la réorganisation des sociétés elles-mêmes.

 

Que pouvons-nous apprendre de tout cela ?

A : Selon la science, tout élément se développant le réalise plus ou moins de la même façon. Toute croissance reste soumise à des lois similaires, mais, qu’elle revête un caractère économique ou autre, elle ne reste pas stable. Elle demeure régie par des singularités limitées dans le temps qui finiront par s’effacer. B : Les systèmes complexes immobiles tendent à se comporter comme des systèmes biologiques dont il reste possible de calculer l’espérance de vie. C : La seule manière dont un système peut renforcer sa croissance reste en se réinventant du tout au tout à un rythme accéléré. D : Même le système le plus innovant, évolutif et dynamique devra finir par se réinventer à une vitesse supérieure à celle  possible. Il s’effondrera par la suite.

 

Le monde dans lequel nous vivons

Nous faisons partie de nombreux systèmes complexes. Nous pouvons nous demander lesquels d’entre eux appartiennent à la catégorie de la petite souris censée vivre 2 ans et lesquels demeurent similaires à des villes innovantes. Dans quelle phase de vie nos systèmes politiques nationaux et nos organisations internationales se situent-ils ? Et l’UE ? Et le capitalisme comme nous le connaissons aujourd’hui ? Et nos employeurs ? Et la démocratie ? Autant de questions importantes auxquelles il demeure difficile de répondre. Nos systèmes complexes montrent-ils des signes de stagnation et de bureaucratie amplifiée ? Doivent-ils attribuer davantage de ressources pour contrer les singularités négatives toxiques ? Demeurent-ils réceptifs ou dans le déni par rapport au besoin d’innover ? Deviennent-ils réticents aux risques ou créatifs ? Ont-ils commencé à entasser des quantités disproportionnées de ressources ? Lesquels d’entre eux réussiront du vivant de nos enfants et lesquels ne resteront pas dans les annales ?  Nous pouvons uniquement être sûrs d’une chose : nous vivons à une époque où le changement arrive à un rythme accéléré et inégalé. Ces 20 à 30 prochaines années promettent d’être très intéressantes mais la forme qu’elles prendront reste une tout autre histoire.

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